Bimbia – point de vue espagnol
Avant-hier, l’Agence Fabra nous a transmis la nouvelle que les Allemands s’étaient emparés des rivières Cameroons et Bimbia, ainsi que du comptoir anglais de Brageida.
L’expédition est placée sous le commandement du Dr Nachtigall (sic), qui a été chargé d’organiser les consulats allemands en Afrique, et revêt donc un caractère officiel, malgré le silence total de la presse sur ces événements.
Il suffit d’avoir une très légère connaissance géographique du pays auquel se rapportent ces dépêches, des antécédents du Dr Nachtigall et de sa mission, pour comprendre que ce qui vient de se passer en Guinée est d’une réelle importance, surtout pour nous.
Le Dr Nachtigall est le plus remarquable des explorateurs allemands modernes. Ses voyages dans le Sahara, le Tchad, le Darfour, le Wadai et les bassins du Nil et du Niger n’ont d’égal que ceux de Stanley et Livingstone. Il connaît bien la côte du golfe de Guinée, pour l’avoir explorée à une époque, et c’est un homme prudent, résolu et très éclairé. Les points occupés sont, selon le télégraphe, la rivière Cameroons, la rivière Bumbia et le comptoir anglais de Brageida.
L’Agence Fabra, qui n’est apparemment pas très forte en géographie, et qui modifie chaque jour les noms qu’elle transmet, nous laisse le soin de les déchiffrer. Cameroons est le nom anglais des montagnes du Cameroun ; Bumbia est Bimbia, et Brageida est, à en juger par l’affinité du nom, la colonie anglaise de Badagry.
Les montagnes de Camarones forment une masse gigantesque située entre les baies de Benin et de Bíafra, et dont notre île de Fernando Póo n’est qu’une dépendance géographique et géologique. Son pic principal, le Mongo-Ma-Lobah, est si supérieur à ceux qui l’entourent qu’il semble s’élever sur une base unique ; il mesure 4 196 mètres au-dessus du niveau de la mer. Un peu plus au sud se trouve un autre sommet de 1 775 mètres. Beaucoup d’autres pénètrent à l’intérieur des terres, et prennent le nom de montagnes Ruaby (?). Leur élévation doit être grande, mais elle n’a pas été mesurée.
Mongo-Ma-Lobah peut être vu depuis 70 miles au large. Son sommet recouvert de neige indique que les frimas norvégien et russe se rencontrent ici même, sur l’équateur. En effet, dans la masse des Camarones, il est possible de traverser en quelques heures les climats entre les deux extrêmes. La végétation est luxuriante, l’eau et l’air purs et les habitants paisibles. La côte est parsemée d’excellents ports, dont certains font déjà l’objet d’un commerce considérable. L’importance de Camarones, d’un point de vue colonial, est immense. Les Allemands, les Anglais et même les Polonais ont cherché à s’y installer. M. Rogozinski avait récemment acheté l’île de Mandaleh aux indigènes, et l’Allemagne avait deux missions établies sur les flancs de la montagne. L’Angleterre possède également des missions et des usines au Cameroun.
L’Espagne avait des droits acquis sur l’embouchure du Bimbia depuis la première moitié de ce siècle. Nous ne savons pas si l’Allemagne s’est bornée à annexer la rivière Camarones, ou si elle a étendu sa domination sur tout le pays ; mais ce qui est certain, c’est qu’elle a pris possession de Bimbia, position excellente vis-à-vis de Fernando Poo, que nous ne devons pas abandonner facilement. En outre, il faut tenir compte d’un danger : cette île étant une dépendance géographique et géologique de Camarones, dont elle n’est séparée que par un étroit bras de mer, la possession de ces montagnes implique celle de Ferdinand Poo à plus ou moins long terme.
L’occupation de Badagry, un établissement anglais assez important, situé dans le golfe du Bénin, entraînera certainement une plainte vigoureuse de la Grande-Bretagne. L’Espagne doit joindre ses plaintes à celles de cette dernière puissance en affirmant ses droits sur Bimbia, avec la certitude qu’ils ne peuvent être mis en doute par personne. Le gouvernement dispose de trop de documents sur lesquels se baser dans les ministères de la Marine, de l’État et de l’Outre-mer.
El Dia – Madrid, vendredi 22 août 1884.- traduit