Première guerre mondiale – témoignage d’un militaire allemand

Compte-rendu d’un journal espagnol

Comment les Alliés ont conquis le Kamerun, et comment les Allemands l’ont perdu – Ni guerre moderne, ni épopée. – Ni gloire pour les vainqueurs, ni honte pour les vaincus.

Première guerre mondiale au Kamerun

Ce n’est qu’après avoir vécu une telle épreuve que l’on peut imaginer combien il est mouvementé de tenir une conférence avec des messieurs dont on ne connaît pas la langue. Je leur ai très timidement proposé de parler en français ou en italien, puisque certains des présents et moi-même le pouvions ; mais ils se sont immédiatement exclamés : « Oh ! italien et français, ennemis! Ne pas parler la langue de l’ennemi… »

Moi ignorant l’allemand et mes interlocuteurs l’espagnol, nous avons dû faire appel à l’interprète. Ceci, pour ceux qui, comme je l’ai dit, n’ont pas utilisé la même ressource, semblera la chose la plus naturelle et la plus rapide du monde. Naturel, oui, mais pour ce qui est de la rapidité …

J’ai posé une question. M. Priester, qui connaît très peu notre langue, a répondu en souriant, comme s’il comprenait la portée de ma question. L’interprète la traduisait, et parfois il me semblait qu’il la développait. M. Priester a répondu longuement, et en l’écoutant parler sans cesse, j’étais amusé, soupçonnant une pluie d’informations curieuses, détaillées, méticuleuses. Et là, douche froide de l’interprète, extrayant tout en une dizaine de mots. Adieu mon illusion ! À un moment donné, je me suis demandé si l’abus de consonnes que font habituellement les Allemands n’était pas la raison pour laquelle il me semblait que M. Priester parlait beaucoup, alors qu’en réalité, il ne disait qu’une demi-douzaine de mots.

Buea – orchestre militaire allemand

– Vous vous attendiez à ce que la guerre éclate ?
-Non, monsieur, loin de là, me dit son excellence le gouverneur civil d’Édéa. À Buea, la capitale de la province que je gouvernais, personne ne croyait que la guerre allait éclater ; cela semblait impossible. Cela peut donner une idée de la bonne foi avec laquelle on affirme que l’Allemagne s’y était préparée, l’avait désirée et l’avait provoquée. Est-il possible que si une telle affirmation était exacte, l’Empire allemand n’aurait pas pris d’autres précautions pour empêcher que ses colonies ne lui soient enlevées de la manière dont elles l’ont été, sans autre moyen de défense que le patriotisme de ses sujets ?
– Quand avez-vous su que la guerre avait éclaté ?
– Le 1er ou le 2 août, je ne sais plus, par câble direct d’Allemagne. Quelques jours plus tard, nous avons été déconnectés, car nous ne pouvions pas utiliser le câble.
– Quelles dispositions avez-vous prises pour la défense de la colonie -Nous avons rassemblé dès que possible, ce qui ne fut pas très rapide, environ 5 600 soldats indigènes et environ 800 Allemands.

Buea – palais du Gouverneur

-Quelle armée aviez-vous là-bas en temps de paix ? – En temps de paix, nous avions environ 100 officiers et sous-officiers et environ 2 700 sergents et brigadiers allemands en tout. Les soldats étaient des indigènes. La côte était gardée. A Douala, la capitale de la colonie et la ville la plus importante, nous avons coulé deux vapeurs marchands pour fermer l’embouchure du port, qui est le principal port de la colonie, comme vous, Espagnols, l’avez fait à Santiago de Cuba. Nous avons également posé un certain nombre de mines dans ces eaux pour prévenir les attaques contre nous sur place…

Dernière parade allemande 27-01-2016

– Disposiez-vous de mines ?
– Non, monsieur. Mais nous les fabriquions de manière très primitive et, à vrai dire, avec peu d’efficacité. La colonie n’était pas du tout préparée à une guerre. Nous n’avions pas de précautions militaires autres que celles nécessaires pour assurer le respect de la vie et des biens de nos compatriotes et des Européens installés là, qui étaient pleinement engagés dans les échanges et le commerce, et à la colonisation de ces immenses territoires.

– Pour donner à mes lecteurs une idée de l’étendue superficielle de cette colonie, pouvez-vous la comparer à celle de tout territoire connu ?
– Cette colonie est aussi grande que la France, la Belgique, la Hollande et la Suisse réunies, et on peut peut-être y ajouter un territoire supplémentaire.
-Et pour une étendue de terre aussi considérable, n’aviez-vous pas même l’armée que l’Espagne soutient au Maroc ?
-Oh, l’Allemagne ne colonise pas comme cela !

Lecteur, note l’exclamation ci-dessus ; médite sur ce que font les autres pays colonisateurs et sur ce que fait le nôtre. Si le contraste du nombre de soldats métropolitains que ces grands peuples ont dans leurs colonies avec le nombre que l’Espagne a dans un petit coin du Maroc vous choque, vous serez encore plus surpris de ce qu’ils m’ont répondu quand je leur ai posé les questions suivantes, qui me sont naturellement venues à l’esprit :

– Quel était le salaire des officiers de l’armée allemande au Kamerun?
– Les officiers et sous-officiers, quatre marks de per diem. Les salaires étaient les suivants : 500 marks pour un lieutenant, 600 marks pour un premier lieutenant et 900 marks pour un capitaine. Et pas de pension de retraite. 
– Il est très étrange que l’Allemagne n’ait pas pris de meilleures dispositions pour la défense de cette colonie.

Herr Priester a haussé les épaules et a ajouté par la bouche de l’interprète :
– C’est que nous ne nous attendions pas à ce que la guerre éclate. Et une preuve supplémentaire que nous ne nous y attendions pas et que nous ne nous y étions pas préparés, c’est qu’avant la déclaration de guerre, nous avons été attaqués aux frontières de notre colonie. Les Anglais et les Français ne perdirent pas de temps, n’hésitèrent pas et n’attendirent pas plus longtemps. Pendant que nous attendions tranquillement que la diplomatie empêche le trouble de la paix, les Français et les Anglais, comme s’ils obéissaient à un ordre, ou comme s’ils étaient bien informés que la paix était rompue depuis longtemps, envahirent le Kamerun simultanément, le premier par l’Est et le second par le Nord, et leurs navires de guerre canonnaient nos côtes.

– Quelle impression a faite la nouvelle de la déclaration de guerre sur les Allemands de la colonie ?

– L’impression ? Aucune.  Ce qui est devenu immédiatement clair pour nous, c’est que nous n’avions aucun moyen de défense et que par conséquent, nous serions finalement expulsés de la colonie. Dans cette perspective, un grand nombre d’entre nous ont éprouvé le désir ardent d’aller en Allemagne, de rejoindre les rangs des combattants en Belgique et en Pologne, où l’exposition de leur vie pourrait être plus utile à notre patrie ; mais lorsqu’il est devenu clair qu’il était impossible de réaliser ce désir patriotique, et que notre mission était de défendre le territoire du Kamerun, personne n’a pensé à autre chose qu’à se sacrifier et à faire son devoir partout où notre drapeau était attaqué.

– Comment s’est déroulée l’invasion ?

L’une des personnes présentes a rapidement répondu dans un espagnol approximatif :
– Je vais vous faire un croquis sur le champ.

Et pendant que notre conférence se poursuivait, il a réalisé celui qui accompagne cette information. Ce croquis m’évite d’avoir à expliquer comment se sont déroulées l’invasion franco-britannique et la retraite allemande.

-Et comment étiez-vous en termes d’armes et de munitions, » ai-je demandé à nouveau.

-L’ennemi comptait plus de 30 000 soldats indigènes et de nombreux autres Européens ; il disposait d’armes modernes et de munitions en abondance. Nous étions à peine capables de rassembler environ 6 000 hommes. Comme vous pouvez le constater, en nombre, notre armée était cinq fois inférieure à celle de l’ennemi. Et en ce qui concerne l’armement et les munitions, notre infériorité était encore plus grande. En vous disant que nous avons dû fabriquer l’un et les autres en improvisant des usines à Yaoundé et à Ebolowa, tout n’est pas encore dit.

Fort d’Ebolowa – 1916 – avant traversée des Allemands vers le Muni espagnol

On a rassemblé toutes les vieilles armes qu’on a pu trouver. Ils relevaient de systèmes différents et, pour la plupart, étaient démodés. Un détail curieux : les barreaux de la prison, comme ceux de certains autres bâtiments, étaient constitués de canons de vieux fusils. Nous devions les arracher et les envoyer aux usines improvisées, afin qu’elles puissent en faire de nouveaux fusils. Comme les canons que nous avions réussi à collecter étaient de systèmes et de calibres différents, cela rendait l’approvisionnement en munitions très difficile, car les usines ne pouvaient pas empêcher qu’il y ait un surplus de munitions pour un système et une pénurie pour un autre. Tout le métal qui pouvait être collecté, même celui des cloches d’église, était envoyé dans les usines d’armement pour être fondu. Et même là, quand nous étions à court, nous payions les indigènes pour ramasser les armes et les cartouches que l’ennemi avait laissées derrière lui, pour utiliser les premières et refaire les autres au calibre de nos armes à feu.

En effet, ils m’ont montré un morceau de carton sur lequel étaient cousues d’un côté les cartouches des fusils ennemis, et de l’autre celles refaites, adaptées au calibre des armes à feu dont ils disposaient. C’était un spectacle curieux, car les calibres étaient aussi différents que vous pouvez l’imaginer.

Guinée espagnole- Inspection des prisonniers allemands noirs du Kamerun après leur travail quotidien.

– Pour chaque fusil que les indigènes ont volé à l’ennemi, nous leur avons payé dix marks.
– Si peu ?
– Oh, l’argent est très cher là-bas.
– D’après ce que je peux voir, la guerre au Kamerun n’était pas très moderne.

-Non. Une guerre très primitive de notre part. Nous avons dû résister et nous défendre avec presque aucune autre ressource que celles de notre propre ingéniosité. Au début, il y avait beaucoup de munitions, car nous en avions par précaution contre les soulèvements. C’est pourquoi nous avons pu contenir l’ennemi au début. Et puis, pendant longtemps, parce que l’ennemi, nous croyant mieux armés, ne se hasardait à nous attaquer qu’avec beaucoup de prudence et de précaution.

-Et les provisions ?

-Elles étaient aussi rares, et très rares ! Si je vous dis qu’il y a eu des troupes qui ont passé trois mois sans sel, vous aurez une idée de la difficulté de notre combat. Ah ! si nous avions eu les moyens de nous défendre…… Mais tout était contre nous. Les munitions ne pouvaient jamais être semblables à celles de l’ennemi. Les indigènes ont vu que leurs fusils avaient moins de portée que ceux de nos ennemis. Et vous ne savez pas à quel point c’était démoralisant pour les indigènes de voir que leurs balles n’atteignaient pas la cible vers laquelle elles étaient dirigées, et que, d’autre part, ils étaient touchés par les balles de l’ennemi. Ils ont commencé à désespérer et ont fini par perdre tout enthousiasme.
De plus, ils se sentaient humiliés de défendre un drapeau qui les plaçait sans défense dans le combat, et ne pensaient qu’à quitter le champ de bataille, quoi qu’il arrive. Ajoutez à cela le fait que, faute de nourriture, les soldats étaient très mal nourris. Ni Bismarck, ni Jules César, ni Alexandre, n’auraient fait quoi que ce soit d’utile avec des soldats en si mauvais état de nourriture et d’armement.
En outre, les alliés envoyaient des troupes indigènes en avant, qui ont parfois conquis nos troupes en leur montrant de la nourriture, en disant : « Si vous voulez bien manger, tout ce que vous avez à faire est de passer par ici ».  Et de nombreux soldats, affamés et découragés par une lutte aussi inégale, finissaient par passer à l’ennemi. La résistance a duré environ dix-huit mois. Faire plus était vraiment impossible.

– Combien vous deviez souffrir !

– Ce n’est pas facile à expliquer. Nous souffrions plus moralement, beaucoup plus que matériellement, et nous souffrions beaucoup matériellement quand nous étions privés de tout.

– Dans quels secteurs la défense et la résistance ont-elles été les plus importantes ?
– A l’est, à Dumé, Yaoundé et Edéa.

Poste militaire de Dumé

– Et dans les combats, les Européens ont-ils eu beaucoup de pertes ? – Entre ceux tués par balles et ceux tués par la maladie, environ 150 en tout. Il y avait beaucoup plus de blessés. Parmi les personnes présentes, il y en a plusieurs qui ont été blessées.

– Parmi eux, il y a le Dr Stabsartz Schachmeyer, – dit l’interprète. – Oui, monsieur. J’ai la « Croix de Fer », dit le docteur, un homme aussi intelligent et sympathique que de bonne humeur, tout en chassant de sa main une mouche, et en disant : – Je suis le plus grand ennemi … des mouches.

– Surtout, ce qui causait l’effet le plus désastreux sur nos soldats indigènes, c’était le manque de canons…… C’était un effet désastreux de les voir se faire canonner et devoir subir les balles sans pouvoir répondre. D’autre part, les Français et les Anglais ont remarqué l’inefficacité de nos munitions, ils ont donc intensifié leurs attaques et augmenté la corruption de nos indigènes.

-Et si l’Allemagne perdait cette importante colonie au moment de la paix, pensez-vous qu’il soit possible que quelqu’un au Parlement demande des explications sur ce qui, pour nous Espagnols, habitués à soutenir une grande armée dans nos possessions, nous semble un manque de prévoyance ?

– Non, monsieur ; personne ne demanderait d’explications au gouvernement, car ce n’est pas notre système de colonisation. Avant les soldats, nous, nous envoyons des commerçants, des industriels, et … des missionnaires protestants et catholiques …

– Et on ne vous reprochera pas la fin malheureuse de votre résistance dans la défense du Kamerun ?

-Non, ils ne le feront pas. En Allemagne, ils sont étonnés que nous ayons résisté si longtemps. La moitié des colonies perdues ont beaucoup moins résisté.

– Quand avez-vous commencé la retraite ?

– Le 15 octobre, voyant qu’il était impossible de tenir plus longtemps par manque de nourriture et de munitions, nous avons décidé de passer la frontière. La route que nous avons suivie est indiquée sur la carte que nous vous avons donnée. La retraite a été très difficile jusqu’à ce que nous atteignions Bata, dans le Muni espagnol.
Le fait que le voyage jusqu’à Bata, qui de notre frontière se fait normalement en huit jours de marche, nous a pris trois semaines vous montre à quel point cette retraite était difficile.
En entrant dans le pays, nous avons demandé la permission de passer armés jusqu’à Bata. Cela a été accordé, et à Bata nous avons été désarmés. Là, le vice-gouverneur de Santa Isabel et le général La Barrera nous attendaient, et ils se sont bien occupés de nous.
Du Muni, nous nous sommes embarqués pour l’Espagne, sur l’Isla de Panay et le Cataluña, escortés par l’Extremadura. En arrivant sur le continent, certains ont été autorisés à choisir leur résidence ; mais la plupart d’entre nous ont été répartis entre les différents points connus de tous.

Allemands du Kamerun internés en Espagne

– Et de quoi la plupart d’entre eux ont-ils vécu ?
– Les uns sur ce qu’ils avaient économisé, les autres sur ce que notre gouvernement leur devait. Nous sommes tous payés par le gouvernement.

Et comme ce résumé de la campagne du Kamerun nous avait pris environ trois heures, nous mîmes fin à la conversation, et nous prîmes congé de tous, très reconnaissants à M. Priester, qui est un juriste illustre, comme conseiller juridique dans son pays jusqu’à ce qu’il soit nommé gouverneur civil d’Édéa, et un homme d’autant de sympathie que de talent.

Edéa – domicile du chef de district allemand

Il est vrai que toutes les personnes présentes ont été très gentilles avec moi, et je ne leur dois que des attentions, des compliments et des politesses. Et comme nous étions sur le point de nous séparer, j’ai demandé s’il restait beaucoup de femmes allemandes là-bas.

– Elles étaient environ deux cents – me dirent-ils- ; beaucoup ont été faites prisonnières. Mais traitées avec considération, elles ont ensuite été envoyées par l’ennemi en Allemagne. Nous nous souvenons, entre autres, de Mme Schneider, la femme d’un lieutenant.

Comme cela me semblait une indélicatesse, j’ai omis de leur demander s’ils étaient satisfaits de l’hospitalité qu’ils avaient trouvée en Espagne. Une indélicatesse et une bêtise. Car, après tout, si ce n’était pas le cas, ils ne me l’auraient pas dit.

Voilà, lecteur, à quoi s’est réduite la conquête du Cameroun, tant vantée par les passionnés des Alliés comme une lutte presque épique, tandis que les Français et les Anglais, avec plus de bon sens – avec le bon sens de celui qui sait que ses forces peuvent assumer de plus grandes tâches -, ne lui auront pas donné plus d’importance que celle, naturelle, d’avoir pris possession de territoires qui, bien que vastes et riches, n’étaient pas en mesure de se défendre.

Et pour fermer la bouche des « alliés-philes » et des germanophiles, afin que personne ne me croie, ni de leur côté ni de l’autre, je dirai que pour tous, pour tous les combattants, sont équivalents mon respect, mon admiration, ma sympathie et ma douleur de les voir engagés dans cette lutte effroyable, qui, quelle que soit sa fin, ne servira qu’à affaiblir l’un ou l’autre, à retarder leur progrès et, naturellement, celui de l’humanité entière. Je ne suis rien d’autre qu’un Espagnol, un hispanophile et un Espagnol.

Ah ! Et un ami de la vérité. Du moins, de sa découverte. J’ai effectué cette recherche d’information afin de la découvrir et de la diffuser.

La conquête du Kamerun s’est-elle déroulée comme M. Priester me l’a dit ? Alors je vais répéter ce que j’ai dit au Dr Reymundo lorsque j’ai quitté la conférence :

-Vraiment, si la conquête a été aussi simple que nous venons de l’entendre raconter, les Français et les Anglais peuvent s’attendre, s’ils la conservent, à de grands avantages dans l’avenir ; mais pas à une grande gloire de la part des historiens…Et, bien sûr, l’Allemagne n’aura pas à nettoyer une tache qui n’est pas tombée sur son drapeau lorsqu’il a été mis en berne au Kamerun…

Car la gloire attend d’être conquise ailleurs.

E. Gonzales Fiol – Por Esos Mundos –01 novembre 1916-BNE traduction personnelle

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