Charles Atangana en Espagne -La lointaine patrie

Un prince expatrié vit à Madrid.

Je ne dis pas exilé parce que, outre que le terme ne serait pas tout à fait exact, ce n’est pas un exilé, ce qui signifie un sentiment d’amertume, une atmosphère de froideur et un esprit de sévère hospitalité, qui trouve un accueil cordial et un doux repos dans un pays qui, noble même avec ses ennemis vaincus, doit l’être davantage avec ceux qui ne l’ont jamais offensé en aucune façon et qui souffrent sous la triste conséquence des fautes d’autrui.

Non seulement il n’y a jamais eu d’hostilité entre lui et l’Espagne, mais une relation nécessaire et utile s’est établie, se maintient et se poursuivra, pour le bénéfice et l’avantage de tous, entre les Espagnols et le peuple que ce prince représente. L’arrivée à Madrid de cet intéressant personnage à la tête d’un peuple africain industrieux, dont le voisinage amical devrait nous intéresser en ce qui concerne nos possessions du golfe de Guinée, fut accueillie avec la curiosité qu’une figure exotique exhalerait chez les gens du commun, pour être oubliée peu de temps après, étant déjà familière à ceux qui voient quotidiennement ce prince, sa famille et son entourage, ou à cause d’un lointain souvenir pour ceux qui ne l’ont pas vu depuis son arrivée.
Je veux parler du roi des Yaoundés et des Banés, de « Camarones ».

Karl ou Carlos ou Charles Atangana

Mais cet homme, bon guide de son pays, sent que son séjour à Madrid se prolonge de façon excessive et indéfinie, et son éloignement, par conséquent, de sa terre bien-aimée. Il souffre en voyant comment se prolonge la mise à l’écart, sans activité, de son pays, il souffre devant l’éloignement de la perspective de travail et de retour à une vie commode que sa patrie lui demande.

Cet homme, qui ne porte pas un nom arbitraire tiré d’un film de voyage ou d’un roman d’aventure, mais qui s’appelle Charles Atangana et qui est chrétien, a jugé nécessaire d’élever la voix et de plaider pour ce qui est son droit et sa nécessité. Avec sérénité et fermeté, comme quelqu’un qui est sûr de sa raison, il élève sa parole, qui ne peut qu’être entendue, non seulement par tous les hommes de bonne volonté, mais aussi par ceux qui sont obligés de l’écouter, même si leur volonté n’est pas si bonne.

Digne et impartial, ce prince expose la justice de son désir. Il pèche encore un peu d’humilité inutile lorsqu’il évoque la couleur des races et se souvient des hommes d’origine chamitique qui ont brillé dans l’Humanité. Plus personne ne pense à de telles différences de peau, et les temps romantiques et sentimentaux de « La case de l’oncle Tom » et des discussions lyriques du 19ème siècle sont révolus; plus personne ne regarde la couleur naturelle de son teint, mais plutôt son intelligence et son cœur.

Le roi Charles, victime des éclaboussures de la guerre, voit comment les parties récemment belligérantes reprennent heureusement leur vie et se préparent à reconstruire leur existence avec un niveau d’assiduité qui se développe fructueusement dans la paix. Et cette paix et cette œuvre vivifiante n’existent pas pour ce chef d’un peuple qui se souvient de ses opulentes forêts abattues et de son territoire dévasté, sans qu’il lui soit donné de retourner parmi les siens et d’entreprendre, à force de constance et de foi, la renaissance de tant de forces anéanties.

La douloureuse indifférence avec laquelle l’Espagne traite nos possessions coloniales en Espagne signifie que non seulement nos îles, mais aussi le territoire continental qui nous appartient en Afrique occidentale, sont ignorés pour ce qu’ils valent. Il se répète le cas amer des Philippines, que Montero Ríos a données aux Yankees, au grand étonnement des Américains, qui ne les ont pas demandées et se sont retrouvés avec elles parce que les représentants espagnols à la Conférence de Paris ne connaissaient pas bien l’anglais.
De même que les îles Magellan ont été perdues pour nous sans qu’on en connaisse plus que quelques points de la côte, laissant leur très riche intérieur inexploré et les trésors de leur sol et de leur sous-sol inutiles, de même les Espagnols sont aujourd’hui tout à fait inconscients de la valeur totale de nos possessions africaines.

Il n’est donc pas étrange que l’on ignore la richesse que représente le territoire occupé par les Yaoundés et les Banés, et la commodité de faciliter le rapatriement du chef de ces peuples, qui, rendus à la normalité de leur travail, peuvent établir avec cette Espagne qu’ils n’oublieront jamais, un consortium continu et profitable, comme le roi Charles lui-même l’insinue, en parlant de l’embarquement facile des riches marchandises dans le port de Douala, pour être transférées à Santa Isabel, à Fernando Poo, ou directement dans n’importe lequel de nos ports de la Péninsule.

Et lorsqu’on parle de Fernando Poo, il est essentiel de rappeler le séjour de Charles Atangana et de son peuple sur cette île espagnole. Accueillis là, ils ne se sont pas contentés de recevoir l’hospitalité, mais ont donné un échantillon de leur art colonisateur, en réalisant un travail profitable qui reste là, en transformant un morceau de forêt vierge en forêt utile, en construisant là où c’était nécessaire, en asséchant les marécages qui produisaient des fièvres, avec laquelle ils ont réalisé un grand travail d’assainissement ; en construisant des maisons, des routes et des ponts et en établissant tous les services que l’hygiène spécifie.

Village d’Ewondos internés en Guinée équatoriale

Il faut non seulement que la requête de ce prince, qui demande quelque chose d’aussi juste que de retourner sur la terre qui l’a vu naître, soit entendue, mais encore qu’elle soit prise en considération. Cette terre qui porte en son sein les cendres de ses parents et la même terre qu’il a rendu féconde par l’effort de son travail.

Et l’Espagne, qui a tant fait pour que rentrent chez eux tous ceux que la guerre avait arrachés à leur foyer, ne doit pas laisser sa mission inachevée, en laissant se prolonger si péniblement l’expatriation de ce patriarche d’un peuple, non seulement digne de plus grandes fortunes, mais démontrant qu’il sait les mériter et les conquérir.

Pedro De Repide – Libertad- Madrid – 11 février1920
BNE (traduction personnelle)

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